mardi 25 août 2009

Qu’est-ce qu’un auteur ?


Bientôt je m’essaierai ici à l’exercice du commentaire de texte. Du texte de ma scène de roman préférée, comme l’ont fait une poignée d’auteurs à actualité pour le n° 710 des Inrockuptibles*. Je ne m’y livrerai pas pour ‘faire comme’, et évoluer pour quelques heures dans des habits trop grands pour moi – quoique certains Auteurs proclamés soient moins doués que les assistants de leurs éditeurs.
Commenter un texte est a priori une tâche autrement moins noble que de le produire. L’exercice institutionnalisé du commentaire est d’ailleurs moins considéré et redouté que celui de la dissertation littéraire. Or, le commentaire, loin d’être réservé aux esprits laborieux et dépourvus de sens créatif, est au contraire le lieu de la création par excellence. Ce n’est certes pas une génération spontanée, mais une création qui fait parler des sons, des lettres, des mots, des phrases et leur ordonnancement. Qui renvoie à la culture de son lecteur-auteur. Elle est le fruit d’une conversation polyphonique, entre ses auteurs et ceux qui les ont précédés – ou succédés, et, de fait, un concentré digéré et rationnalisé d’une multitude de références. Il ne s’agit pas d’un digest passant tout au mixeur de manière arbitraire, mais une sélection, un agencement et un argumentaire aboutissant à une création raisonnée.

Bien que de plus en plus partagé, le concept cher au structuralisme du lecteur-auteur ne menace en rien la grandeur de l’Auteur, celui dont le nom barre les couvertures et passe de bouche à oreille à la rentrée littéraire. ‘Avez-vous lu le dernier Xxx ?’, lieu commun sur toutes les lèvres à cette période, éclaire ce qu’est aujourd’hui un Auteur : une marque.

Une marque qui, contrairement à ce que le très simpliste diptyque commentaire (broderies sur un motif préalablement défini) / dissertation (production d’un esprit démiurge) laisse à penser, n’est pas le fruit d’un esprit générant du tout à partir du rien.

Rien de très nouveau, encore, mais ceci mérite d’être rappelé. L’Auteur ne crée rien sinon à partir d’une matière existante. La génération spontanée n’est pas avérée en littérature. La dissertation, l’essai, la fiction, ainsi que toutes les formes hybrides et dérivées, ne sont que juxtaposition de commentaires, affranchis des contraintes structurelles du commentaire.
Mais l’Auteur n’est pas qu’une bibliothèque s’ingéniant à croiser le contenu de ses étagères selon un scenario qu’elle établit. C’est une bibliothèque placée dans un environnement mouvant et en constante interaction avec lui, fût-ce en creux : être à contre-courant est toujours une manière de prendre en compte le mouvement général. Quant à ceux que l’on qualifie d’ovnis, ils sont souvent davantage le reflet de l’inertie des juges que de l’avant-garde des jugés.

Une marque est le reflet de son époque, la situe et la contextualise. Au fil des années, elle construit son image au gré ou à rebours des attentes détectées. Et elle rappelle sans cesse son héritage culturel en le déclinant sous des formes sinon renouvelées, du moins rénovées.
C’est là que se situe l’une des difficultés majeures du ‘métier’ d’Auteur : comment affirmer une ligne constante en se permettant des écarts, aller de l’avant sans exclure les retours en arrière et les arrêts sur image propres à éviter le sur-place en créant des possibilités restaurées ?

On ne naît pas Auteur, on le devient. L’éditeur est un chasseur de tendance, qui repère ce qui pourrait intéresser, par sa (non-) conformité. Charge à l’Auteur ainsi baptisé de conserver sa capacité à synthétiser son monde en une substance cohérente et digeste, et de se construire une image à la hauteur de son titre.


Béatrice Caroline

*2è semaine de juillet 2009

lundi 2 mars 2009

A la marge (1/2)


«Un peu en marge plutôt qu’au centre »

Il semblerait que Scarlett Johansson ait :

1 – lu tout Gramsci, Foucault et Halberstam
2 – suivi les cours sur Madonna et le post-modernisme par l’incomparable Gregory Hollyfield
3 – lu / entendu des digests des précédents

Résumant son aventure louisianaise à l’origine de Anywhere I lay my head, elle déclarait en effet se sentir à sa place « un peu en marge plutôt qu’au centre ». On peut se demander en quoi prêter sa voix mais surtout sa notoriété à un album de reprises de Tom Waits constitue une quelconque prise de risque, un éloignement des sentiers battus. S’entourer de cerveaux créatifs et reconnus dans le milieu pour dépoussiérer des titres d’un artiste respecté n’a rien de périlleux, ne constitue pas un acte manifeste d’éloignement du cœur du système qui vous a lancée.
Pas plus d’ailleurs que d’être l’égérie de Woody Allen, ou de la très branchée et valeur sûre du box office Sofia Coppola, iconoclaste s’il en est, ayant la belle audace, dans un film encore moins prenant que The Virgin Suicides, de mêler ornements baroques et épure shoegaze, d’introduire sans aucune valeur ajoutée des converses à la cour, tout en dessinant des escarpins autrement moins accessibles pour Vuitton, institution en marge par excellence.

Mais revenons à notre Scarlett : les admirateurs transis de son physique de poupée gonflée du cinéma muet*, ensorcelés par son personnage de femme-enfant d’un autre temps, dont la vulgarité dans toutes ses acceptions se revêt des habits d’un glamour rétro, plutôt que du bronzage ou des extensions d’une prom queen en puissance, ils ne pourront que s’extasier, toujours. Malgré un manque d’initiative propre et une voix qui ne rattrape rien. Pour ce qui est de jouer les guest stars aux côtés de vieillissants Jesus & Mary Chain, face à un public de Coachella largement nourri au biberon des bandes son des films de Sofia : ni grand écart, ni sortie d’orbite pour la première, sacré coup de jeune et de com’ pour les seconds.

Ceci dit, elle est peut-être bonne actrice. Mais c’est un autre sujet.

Béatrice Caroline

* Les Inrockuptibles, 2008

samedi 28 février 2009

Piste 01


Un morceau particulièrement décevant : « Venus in Cancer », le hit de Amusement Parks on Fire, ou le déjà-vu et la répétition sur toute la ligne. Comme chez tant d’autres, quelques accords, mais surtout, une ligne de basse dont la pauvreté est sur-jouée (certes, ils sont proclamés shoegaze, certes, ils n’ont pas oublié leurs influences post-punk, mais il y a des limites), et encore amplifiée par sa répétition sans fin.
On n’est plus dans le domaine du couplet-pont-refrain-pont-couplet bis-pont-refrain-etc. cher à certains, mais dans un train-train refrain-refrain tendant à la rengaine.

Et pourtant, quel ravissement à la énième écoute de ce que j’appellerai « Piste 01 » (source : mon Itunes avant toilettage). De ces morceaux qui pourraient passer inaperçus, ni désagréables, ni d’emblée captivants : rien d’extra-ordinaire en termes de mélodies, de voix, de composition, pas d’étrangetés de génie…rien qu’un fond sonore, un brouhaha suffisamment mélodique pour ne pas déranger.
La révélation attendait un contexte propice, un cadre autre que celui, étriqué et flou des écouteurs dans le RER. Piste 01 est de ces titres qui n’existent pas de manière autonome, mais prennent une ampleur inégalée dès qu’ils touchent la corde sensible oubliée, constituant ce faisant une version contemporaine de la madeleine usée de référence.

Piste 01, par sa juvénilité, l’ingénuité de ses intonations et la fausse gravité de ses mots, se nourrit d’une fenêtre ouverte la laissant s’épanouir et s’étirer. Explorer un espace et un temps déjà connus, déjà vécus, qui à travers elle sont re-jouables à l’infini.

Béatrice Caroline

Le bouton tragique


Je ne vais pas évoquer les prouesses techniques qui ont permis, après de nombreuses années de gestation, la réalisation de Benjamin Button, et en constituent le point censément le plus spectaculaire. Il en a suffisamment été question ailleurs, et surtout, outre le fait que de très bonnes maquilleuses auraient pu seules obtenir des résultats approchants dans 80% des situations, le principe suivi de ressemblance à tout prix tue la vraisemblance. Il y a fort à parier qu’il sera malaisé de reconnaître en Brad Pitt vieillard (hors distorsions liées à la chirurgie esthétique) les traits du Brad Pitt tel qu’on le reconnaît aujourd’hui : Prenez n’importe quelle photo d’ancien combattant et confrontez-la à une photo de jeunesse, le lien est ténu. A l’inverse, la reconnaissance (recognition) est trop immédiate face au jeune-vieux Benjamin, repoussant mais extrêmement familier, portant sur son visage quelque chose de l’ « angélique » Brad des débuts.
Un autre raté du film : l’allusion trop marquée au lien entre tempête / foudre, passing of time et retour en arrière, dans la redite absolue : on ne peut s’empêcher de penser à l’analogie déjà développée dans Retour vers le futur, et la croyance très ancrée dans une corrélation entre phénomènes électriques et rupture des frontières du temps.

Cependant, le mode de traitement du retour en arrière est en soi plus original. Hormis à travers l’artifice de la narration, il n’est pas question de voyage dans le temps, mais de voyage dans son propre temps. Benjamin progresse, dans le même « espace-temps » que ses congénères, mais à rebours, vers une jeunesse fatalement non éternelle.
La fatalité du temps qui passe, dans un sens ou dans un autre, mais toujours vers le même point de chute, constitue évidemment le thème directeur de Benjamin Button, sujet central, levier du tragique.
Il est élément déclencheur : l’anecdote de l’horloger au désespoir et de son horloge inversée constitue le point de départ présidant à la tragique destinée de BB. Tout au long de la narration, son fil se déroule, invisible mais omniprésent, à travers les objets sur lesquels la caméra s’attarde ostensiblement, une horloge, des hélices en mouvement. Surtout, à travers la marque qu’il laisse aux corps et aux mémoires, avant de les réduire à peau de chagrin.

Benjamin est un héros tragique par excellence. Il a perdu sa mère, a été abandonné par son père. Malgré une mère adoptive très aimante, il se sent vite délaissé au profit d’une petite sœur, tout en voulant affirmer son indépendance par la recherche d’une figure de compagnon : le jeune homme africain, son père dont il ignore tout, le conducteur du navire…
Mais les figures féminines sont autrement plus décisives dans son apprentissage.
Dans une certaine mesure, Daisy joue déjà ce rôle alors qu’ils sont enfants. Face à une petite fille espiègle, le petit vieillard paraît naïf et timide. Plus tard, la rencontre avec une femme mûre, d’origine sociale et de culture plus élevées, lui faisant découvrir dîners en tête à tête, caviar et vodka, va dans le même sens : Benjamin s’initie, ou plutôt, il est initié. Il ne sera jamais l’être « dominant », le décisionnaire, le chef de famille. Il est dépendant toute sa jeunesse, de ses béquilles et des soins de sa mère. Il l’est ensuite des femmes qui lui ouvrent des horizons inconnus, l’acceptent ou non dans leur vie. Il n’est pas père. Il est à peine plus âgé que sa fille le jour de leur unique rencontre. Au soir de sa vie, son rapport avec Daisy se transforme en relation œdipienne inversée, les anciens amants n’étant plus enlacés que de manière quasi filiale.
Quant à leur enfant, elle ne découvre que bien plus tard l’histoire de ses origines, presque d’elle-même, tout en l’ignorant jusqu’au dernier instant : c’est l’autre héroïne du film, proprement tragique elle aussi.

Cependant, on ne ressort pas de ce film édifié, purifié de la démesure d’une transgression. A moins de lire dans les unions alors réprouvées entre l’horloger et une jeune femme créole, et entre Mr. Button et une fille du commun une double transgression originelle ?

Béatrice Caroline

vendredi 6 février 2009

The Generic City (S,M,L,XL)


I went to London on New Year's Eve 2008.

It wasn't my first trip to the city but strangely enough I couldn't remember the previous ones. Though I had a really good time there, a feeling of profound unease unsettled me from the very start.
Upon my return to Paris, I started reflecting on it. London is in many ways radically different from Paris. The word “easy” comes to mind. You'll meet mostly foreigners, working in bars, hotels, restaurants, theaters and so on, with whom you'll exchange basic information in a rough stuttering English. Life is concentrated in one small area: one street is home to all the clothes and fashion shops you'll find in any other European capital, another to bars, clubs, theaters and fast food chains. And that's about all you'll experience. Small town meets Broadway.

I stumbled on Rem Koolhaas' article: The Generic city shortly afterwards and was surprised to find it expressing some of the feelings I had experienced in London.

Let's ignore for a moment Koolhaas' sententious tone and take a closer look at his depiction of the generic city, which I find quite interesting – though not really revolutionary.




(Skyscraper in Hamburg)


"The Generic City is on its way from horizontality to verticality. The skycraper looks as if it will be the final, definitive typology. It has swallowed everything else. It can exist anywhere: in a rice field, or downtown - it makes no difference anymore. The towers no longer stand together; they are spaced so that they don't interact. Density in isolation is the ideal."

(Hamburg's fake palm trees, (not) dispensing the much needed shade to gaze longingly at the black waters) .


"Supremely inorganic, the organic is the Generic City's strongest myth"

Things get disturbing when Koolhaas comes to the generic city's identity – or rather the lack thereof.

Chut